Libres propos sur la correctionnalisation judiciaire
La correctionnalisation judiciaire.
D'abord, une pratique des Juges. Du Ministère public et de l'Instruction. L'oubli délibéré de tel ou tel élément de l'infraction pour voir le crime ramener au rang de délit. Un mécanisme pour éviter la Cour d'Assises pour des raisons diverses et très variées.Assurément.
Une pratique laissée à l'appréciation des Juges. Mais la Cour de Cassation sanctionnait et sanctionne cette méthode de traitement des infractions dès que le moyen était ou est soulevé.
La Doctrine adhérait à la position de principe de la chambre criminelle. " l'illégalité résulte de ce que le procédé est contraire aux règles de la compétence pénale qui est d'ordre public"notaient Merle et Vitu dans leur Traité de Droit Criminel.
Par arrêt en date du 20 juillet 2011, n° 10-83763, la chambre criminelle de la Cour Suprême de juger " en matière répressive, la compétence des juridictions est d'ordre public. La Cour d'Appel doit examiner, même d'office, sa compétence et se déclarer incompétente si les faits poursuivis sont du ressort de la juridiction criminelle." La Cour d'ajouter " l'exception d'incompétence peut être soulevée d'office devant la Cour de Cassation".
Juridiquement, et par la Juridiction Suprême, la correctionnalisation était et estbalayée dans son principe. Avec l'effort aidant des plaideurs.
La Loi PERBEN II du 9 mars 2004 est venue modifier la matière : elle emporte légalisation de la correctionnalisation judiciaire dans le cadre de l'information judiciaire. Les articles qui légalisent cette pratique sont les articles 186-3 du Code de procédure pénale et 469 alinéa 4 du même Code.
Par ce mécanisme, un même fait de viol pourra être considéré comme un fait d'agression sexuelle. Le Professeur Yves MAYAUD à l'occasion d'un article publié à la Revue de Science Criminelle en 2013 a pu choisir à l'occasion d'un commentaire d'arrêt en date du 4 avril 2013, Crim, n° 12-85;185, le titre suivant et parfaitement évocateur " Viol ou agression sexuelle ? C'est selon ..." - RSC 2013 p 808-.
Il est vrai que l'infraction de viol définie à l'article 222-23 du Code Pénal n'a qu'une faible parenté avec l'infraction d'agression sexuelle des articles 222-27 à 222-31-1du Code Pénal. Le viol est défini comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit commis, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise. L''acte de pénétration sexuelle hors le consentement d'autrui est un acte de viol. Le Professeur Francis CABALLERO indique que l'agression sexuelle est "l'anti-chambre du viol". Ils'agit d'une atteinte sexuelle autre que la pénétration. - Droit du Sexe. Francis CABALLERO. Editions LGDJ-.
Le viol relève de la Cour d'Assises. L'agression sexuelle relève de la juridiction correctionelle, juridiction qui n'est pas l'antichambre de la juridiction criminelle. Comment peut on objectivement, en réalité, apprécier un fait de viol sur un mode d'atteinte sexuelle ?
Dans le même esprit, un mis en examen poursuivi sous la qualilification de tentative d'assassinat se voit poursuivi devant le tribunal correctionnel sous la prévention de violences avec arme. Une chambre de l'instruction rejetant une demande de mise en liberté du mis en examen va caractériser les éléments constitutifs de l'infraction. Puis, une même juridiction d'instruction du second degré va faire droit à une demande de mise en liberté du même mis en examen, oubliant sa première motivation. Le parquet requiert le renvoi devant le tribunal correctionnel. Où se trouve le dénominateur commun entre des faits de tentative d'assassinat et des violences avec arme ? L'élément intentionnel est différent et les actes commis sont également différents.La tentative d'assassinat, ce sont des actes préparatoires avec le dessein de tuer.
Les exemples sont multiples. Chaque Avocat peur en trouver dans sa pratique.
Un fait, un habillage différent, c'est selon ...
- La correctionnalisation , à l'initiative des parties ?
Certains membres de la Doctrine considèrent que la correctionnalisation serait " la chose des parties" dans le procès pénal. De dire ou de prétendre que la partie civile ou la défense seraient maîtres de la compétence. La requalification des faits seraient laissée à la seule appréciation des parties privées.
J'ose croire que ce n'est pas la partie civile ou la défense du mis en examen qui est maître du choix de correctionnalisation ou non. Si la correctionnalisation présente des défauts que l'on pouvait esquisser ci dessus, on peut affirmer que dans les textes, dans la pratique régulière, elle appartient au ministère public et au magistrat instructeur.
Ce sont les textes qui nous fournissent cette réponse.
Il ne faut pas confondre droit à la parole - les parties privées ont droit à la parole- et pouvoir de décision. Dans la pratique des tribunaux, on ne peut pas écarter les rapprochements humains et les influences, cependant, la qualification n'est pas laissée à l'initiative des parties.
Les articles 186-3 et 469 alinéa 4 du Code de procédure pénale. Les parties peuvent remettre en cause le choix du magistrat instructeur par l'appel. Le mis en examen peut bénéficier d'un renvoi devant la juridiction correctionnelle et la partie civile vouloir la voir remettre en cause.
Le droit d'appel ouvert à la personne mise en examen ou à la partie civile contre les ordonnances du juge d'instruction est limité par les articles 186 et suivants du Code de procédure pénale. La loi PERBEN II a admis une exception en insérant un nouvel article 186-3 du Code de procédure pénale aux termes duquel" la personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prévues par le premier alinéa de l'article 179 dans le cas où elles estiment que les faits renvoyés devant le Tribunal Correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l'objet d'une ordonnance de mise en accusation devant la Cour d'Assises".
Les parties peuvent ainsi contester la correctionnalisation opérée par le juge d'instruction.
Il ne s'agit donc pas de voir la partie civile et la défense du mis en examen diriger l'affaire vers la juridiction correctionnelle ou .. criminelle.
C'est un encadrement de la correctionnalisation qui a pour mérite de donner une légitimité à une dénaturation d'infraction ....
Il sera rappelé qu'ensuite la juridiction correctionnelle saisie, celle ci ne peut remettre en cause sa compétence. Les parties ont exercé un recours ou non, le tribunal correctionnel est saisi et sa compétence se trouve figée.
- Les avantages de la correctionnalisation
Cette pratique a prospéré. Il doit y avoir des raisons pratiques et légitimes.
Eviter la Cour d'Assises à certains justiciables ? Certainement !
L'efficacité ! Eviter la lourdeur de la Cour d'Assises et juger au plus vite.
- Les inconvénients
la méconnaissance de la règle des délits et des peines est le premier inconvénient. L'écart des règles de fond dudroit pénal.
On peut ajouter l'arbitraire. La veille doctrine pénaliste le disait déjà. La méfiance des justicibles dans l'oeuvre de justice.
Pour être exhausif sur la correctionnalisation judiciaire, il faut préciser que le mis en examen peut contester la correctionnalisation des faits et par conséquent revendiquer la compétence de la Cour d'Assises. C'est ce que nous apprend un arrêt du 25 novembre 2009 de la Cour de Cassation - Crim 25 novembre 2009, FS-P+F, n° 09-84.814. Dalloz Actualité 20 janvier 2010.Dans le même esprit, un mis en examen a revendiqué le caractère volontaire d'un homicide- Crim 24 mars 2009- n° 08-84.849 n° 1754 FS-P +F Recueil Dalloz 2009 page 2140.
On peut encadrer la matière, on peut mettre des garde fous. La correctionnalisation qu'elle soit une victoire pour la défense et un échec pour la partie civile, reste intellectuellement parlant un défi pour l'intelligence. Et, si on se place du côté de parties civiles, des droits revendiqués et proclamés de la victime, on est derrière le miroir.
Une scène de théâtre. Un Juge. De la manche, il retire ...C'est selon !